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ALL THE THINGS SHE SAID 

témoignages sur le sexisme dans les milieux de la musique 

Le sexisme c'est un peu partout, c'est un peu tout le temps. Pas de quoi s'étonner alors que celui-ci règne en maître sur les milieux de la musique, qu'il s'agisse des artistes, des labels, des médias, ou du public.

 

Pourtant, la musique a ses propres spécificités et le sexisme qui y a lieu a ses propres caractéristiques. Les voix des personnes qui le subissent peinent encore à se faire entendre, tant la domination est ancrée dans ces milieux très majoritairement et hégémoniquement masculins.

 

Les témoignages que vous pouvez lire ci-dessous ont pour vocation de visibiliser les victimes du sexisme dans les milieux de la musique, afin mieux le combattre. 

Je suis une femme, je suis petite, je fais plus jeune que mon âge 

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La première personne à m’avoir offert une chance dans la musique est une femme. Ce n’est pas entièrement vrai mais c’est ainsi que je le vois. Je postulais pour être stagiaire auprès de deux chefs de projets dans une maison de disques : un homme et une femme. C’est lui qui m’a rappelée la première fois mais c’est surtout pour elle que j’allais travailler.  J’avais et j’ai toujours beaucoup d’estime pour ces deux personnes. Mais c’est surtout pour elle que j’avais une grande admiration. Pour son charisme, pour le respect qu’elle imposait, pour son aplomb. Je me souviens même lui avoir déclaré tout cela dans mon mail de départ. A ma grande surprise, à l’époque, elle s’était cependant un peu braquée (« tu veux dire que je suis une vieille conne qui ouvre sa gueule ? »). Si j’avais su, à ce moment-là… Elle avait tant raison !

Est-ce que cette expérience a un peu faussé ma vision de la place de la Femme dans la musique ? Peut-être. Après tout, ladite maison de disques employait plusieurs femmes dont certaines à des postes à responsabilités. D’ailleurs, MA chef de projet allait prendre du galon pendant mon stage…

 

Petit pas en avant, jusqu’à aujourd’hui, sept ans plus tard. Je travaille toujours dans la musique. Je travaille même de manière très « stable » dans la musique depuis cinq ans. Ma vision de la place de la Femme dans ce milieu ? Elle a bien évolué.

Il y a évidemment mon propre vécu. Mais pas que. En ce qui me concerne, je pense avoir la « malchance » de cumuler trois « tares » : je suis une femme, je suis petite, je fais plus jeune que mon âge. Du coup, au quotidien, cela donne quoi ? Des hommes qui se pensent plein d’esprit lorsqu’ils me demandent, en festival pro, si je suis la stagiaire, alors que je viens leur parler d’égal à égal. Cela donne des surnoms aussi diminuants que « la petite ». Cela donne aussi l’absurde nécessité de rappeler parfois que oui, j’ai de l’expérience, que oui, je suis compétente, que non, cela ne fait pas neufs ans que j’ai vingt ans.

 

Pour ce qui est de l’image de la Femme dans ce milieu, en général, je pense qu’on est encore loin du compte. A tout bien y réfléchir, je me demande s’il existe une seule femme haut placée dans la musique dont je connaisse l’existence et dont on m’ai parlé sans qu’elle ne soit au moins une fois « accusée » d’avoir usé de ses charmes pour réussir ou décrite comme une personne hystérique/ froide/ folle (parfois les trois à la fois). Fort heureusement, elles ne sont pas présentées de la sorte par tous. Mais, autant que je m’en souvienne, elles l’ont toutes été au moins une fois par une personne. Ce qu’il y a de terrible, c’est que ce ne sont pas nécessairement des hommes qui portent ces critiques à leur égard. Et ce qu’il y a d’encore plus terrible, c’est qu’il m’arrive parfois de me demander si, au final, certaines femmes n’ont pas intériorisé ces clichés si profondément qu’elles finissent par en jouer le jeu...

 

En attendant, les personnes qui ignorent mes mails mais répondent à ceux de mes collègues masculins, celles qui ont décrété que, par défaut, moi, femme, devais être la personne en charge de régler la paperasse, celles qui se sentent obligées de me dire que je m’occuperai probablement aussi bien d’elles que leur ancien interlocuteur mâle, sans que ce ça ne soit le sujet (pourquoi me dire ça, cher interlocuteur ? Si ce n’est pour souligner ta crainte que ça ne soit pas le cas), celles qui commencent nos discussions par un interrogatoire en règle pour jauger ma légitimité… Toutes ces personnes forgent mon petit quotidien de femme dans la musique.

Ne vous y trompez pas : j’adore ce milieu, j’adore mon métier et pour rien au monde, je ne troquerais ma vie contre celle de quelqu’un d’autre. D’ailleurs, je ne suis pas persuadée que l’herbe soit beaucoup plus verte ailleurs. Mais il y a cette réalité du quotidien. Une réalité dont toutes les femmes qui évoluent dans ce milieu tentent de s’accommoder… C’est « le jeu » ! Fort heureusement, j’ai ce sentiment de voir, autour de moi, des hommes et des femmes de plus en plus conscients de tout cela. Des gens qui tentent, autant que possible, de ne jamais tomber dans ces clivages, dans ces clichés.

Et en toute honnêteté, s’il fallait tout mettre dans une balance, mes journées restent plus remplies de gestes et paroles de bienveillance que de malveillance. Il reste que le négatif nous marque toujours plus que le positif. Et il n’empêche qu’il y a cette sensation assez constante de marcher sur des œufs, de devoir être en contrôle et de ne jamais déraper sur la route sinueuse sensée mener à une égalité réelle entre les hommes et les femmes.

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Anonyme

Talentueux musiciens, jolies musiciennes.

 

 

Journaliste musicale depuis presque six ans, j’ai été à titre personnel relativement épargnée par les comportements sexistes du milieu (et étant donné ce que mes consoeurs ont pu subir, je m’estime chanceuse).

 

Il y a cependant une chose qui m’a toujours marquée, et dont je suis témoin très régulièrement : la façon dont on parle des artistes féminines.

Car au delà de leur présence très réduite par rapport à leurs homologues masculins, elles sont loin d’être traitées de la même façon lorsqu’enfin on s’intéresse à elles.

 

Prenons un exemple. Je reçois quotidiennement des communiqués de presse concernant différents artistes dans ma boîte mail. La semaine dernière, j’ouvre un mail pour me renseigner sur une artiste. Premières lignes du communiqué :

 

“[...] son second album est presque

terminé. Impassible, jolie,

concentrée, elle raconte [...]”

 

Nous y voilà, “jolie”.

 

Si l’artiste avait été un homme, l’auriez-vous qualifié

de “joli” ? Vous seriez-vous permis-e de donner votre avis sur son physique ? Auriez-vous même fait le moindre commentaire sur son apparence ? A moins que le bougre n’ait porté un costume digne de l’âge d’or de David Bowie, j’en doute fortement.

 

Bien évidemment, cet exemple n’en est qu’un parmi des

centaines d’autres, et cette problématique concerne aussi bien les communiqués de presse que les livres, les articles, tout autre production journalistique, etc. Il concerne d’ailleurs toutes les franges du milieu musical, de la presse à l’industrie de manière

générale.

 

Je vais être très claire :

cela doit cesser au plus vite.

Arrêtez de vous sentir obligé-e de commenter le physique, la tenue, ou le maquillage d’une artiste dès l’instant où vous parlez d’une femme, et posez-vous cette simple question :

si je parlais d’un homme, est-ce que je dirais ça ?

Si la réponse est non, alors ne le dites pas non plus pour une femme. C’est aussi simple que ça.

 

Les femmes méritent que l’on prête attention à ce qu’elles

font. À leur art, leur technique, ce qu’elles expriment et pour quelles raisons.

 

Pourquoi diable vous attardez-vous sur

“le charme [d’une] brune sexy”

(oui, c’est une véritable citation tirée d’un article sur un concert), alors que vous pourriez parler de ses compositions, des instruments qu’elle joue, de sa voix, de l’ambiance du concert, du son, des lumières, de la scénographie… Bref, de musique ?

​

Kelly

Message de service

​

Aucune contrainte éditoriale n'est appliquée sur ces témoignages, même les fautes d'orthographe, s'il y en a, ne seront pas corrigées. L'idée est de libérer la parole de ces femmes, et non de la contrôler ou encore de la formater conformément à des attentes. Il s'agit de témoignages bruts, vrais, retranscrits ici tels que leurs auteures les ont transmis. 

Les seuls ajouts sont les titres parfois, la mise en page et l'iconographie.

Mon mec est musicien, et moi je n'existe pas.

 

 

 

 

Je vais voir un concert ce soir, et j'ai hâte, parce que c'est ce que je préfère faire dans la vie. J'erre de salle en salle pour juste pour ces moments où les planètes s’alignent, ces moments parfaits et étranges, où je sors de mon corps, je me dissout dans la musique et mon esprit porté par l'atmosphère du moment se retrouve parfois à des millions de kilomètres de là, parfois juste à côté : dans cette ruelle, dans cet appartement, sur cette plage. C'est rare les moments parfaits, alors je me dis que plus je vois de concerts, plus j'ai de chance que ça arrive. Pas trop non plus, pour ne jamais me lasser. J'espère que le concert sera bien ce soir, et qu'à défaut d'un moment parfait, je passe au moins un bon moment.

 

Je mets mon jean noir, mes bottines, mon tee-shirt The Cosmic Dead, je retouche mon maquillage et boucle mes cheveux. Je suis féminine selon les codes traditionnels de la féminité, mais je porte également l'uniforme de mon cercle social : je m'habille essentiellement de noir, de jeans, et de tee-shirts de groupes. Je dirais bien que je m'habille comme ça uniquement parce que ça me plaît, et non pour me faire accepter, mais ce serait faire un gros doigt à la sociologie, et c'est pas mon genre.

 

On arrive au concert, et traînent devant la salle un certain nombre de têtes familières. A force d'aller voir les mêmes genres de concerts, on finit par croiser les mêmes genres de personnes. On discute avec quelques personnes, et le temps semble s'étirer. Je cherche autour de moi un indice, une explication, quand je remarque qu'en fait personne ne m'a adressé la parole depuis plusieurs minutes, ni même ne m'a regardée. X et Y sont en pleine conversation, les yeux dans les yeux, ils rient parfois, mais personne ne semble me voir. Je baisse les yeux sur mes jambes et mes bras, je veux vérifier si j'existe toujours bel et bien. Rien d'anormal, tout est là, je suis bien opaque et solide. Je regarde autour de moi, j'essaie de comprendre. Et c'est là qu'un constat amer et consternant me frappe : je suis une fille. Un esprit mal intentionné pourrait dire que c'est parce que je suis plus réservée et moins extravertie. Mais alors, pourquoi beaucoup de mes amies ont vécu cette même expérience ? Pourquoi mes amies sont toujours du côté des réservées, de celles qui ne parlent pas, sinon parce qu'elles sont celles que l'on n'écoute pas ?

 

Mon mec est musicien, et les gens que nous croisons, et avec lesquels nous discutons aux concerts le savent. Il donc légitime d'avance, parce que c'est un garçon, et parce qu'il est musicien. Je n'ai pas vu moins de concerts que lui, j'ai croisé ces personnes autant que lui, mais moi, on ne me parle pas. Je ne sais pas si on m'ignorerait moins si j'étais seule, ou avec une autre fille. Ce que je sais c'est que là, on m'ignore. Les secondes paraissent des heures, et je commence à me poser des questions. « Si on ne me parle pas, si on m'inclut même pas du regard, c'est sûrement parce que je n'aurais rien d'intéressant à dire. Et d'ailleurs, je dirais quoi, là, si j'étais invitée à participer ? Sûrement une connerie. De toute façon, je sais que je connais clairement moins bien la musique qu'eux, donc autant que je me taise. Je ne suis pas apte à juger de la qualité du concert, parce que j'y connais pas grand chose finalement ». Je me suis donc tue, et j'ai écouté. Longtemps. Longtemps comme quelques années.

 

J'ai tellement bien écouté que j'ai fini par me rendre compte que la plupart des personnes devant lesquelles je n'osais pas prendre la parole ne connaissait pas beaucoup mieux la musique que moi. Puis j'ai réalisé que certains d'entre eux la connaissaient même moins bien que moi, ils étaient juste plus assurés, plus confiants. J'ai aussi fini par décider que plutôt que d'écouter, et de nourrir des rancoeurs aussi, j'allais juste en n'avoir plus rien à foutre. Et je me suis mise à prendre la parole, même quand on ne me regardait pas, et qu'on ne me parlait pas à moi. J'ai aussi expliqué à mon mec que cette situation me faisait souffrir et anéantissait ma confiance en moi. On parle tout le temps de musique ensemble, donc il n'avait pas remarqué que je ne prenais pas la parole là-dessus devant les autres. A partir de ce moment, il a fait attention à essayer de m'inclure lui-même.

 

Je n'en reviens pas d'avoir autant douté de moi, de mes connaissances, de mon esprit d'analyse. Aujourd'hui je suis en paix avec tout ça, je ne connais pas ce que je ne connais pas et je m'en fous, je connais ce que je connais, et j'aime ce que j'aime. Pas honte de request un Rihanna dans une soirée de gens habillés en noir, et rien à foutre du type qui fait la gueule sur le canap parce qu'il est pas content. Et croyez-moi, ça demande une sacrée dose de confiance en soi. Les gens qui ne me connaissent pas vont penser que je n'écoute que Rihanna et que j'ai des goûts de merde et que j'y connais rien et... ? 1. Et alors ? 2. C'est pas vrai, moi je le sais et ça suffit.

 

 

 

 

Mon mec est musicien, et moi, je ne sais pas. 

 

 

« Et toi, tu es musicienne ? » est qu'une question qu'on ne m'a jamais posée. Bon, ok, peut-être une ou deux fois, mais c'est rien comparé aux huit cent mille fois où on l'a posée à mon mec. De la même manière qu'on suppose que je n'ai rien à dire sur la musique à moins que je ne m'impose, on suppose que je ne suis pas musicienne. Mais là où ça commence vraiment à faire peur, c'est que je ne saurais pas quoi répondre si on me posait la question. Je ne joue pas dans un groupe, ça c'est sûr. Mais j'ai un instrument, et je m'en sers parfois. J'ai pris des cours de chant aussi, donc je chante, souvent, pour moi. J'ai envie de créer, et ce depuis longtemps, mais je n'y arrive pas. Je connais la raison de cette incapacité que j'ai, et c'est parce que je n'arrive à me vivre comme une musicienne, et que je ne m'en sens pas capable. Comme je suis une fille, personne ne pensera que je suis musicienne, à moins qu'on me voit en action, et moi non plus je ne pense pas que je suis musicienne, à moins de me voir en action. Ces pensées s'insinuent dans mon esprit, empruntant toutes les failles déjà présentes, les agrandissant encore sur leur passage. C'est difficile de lutter contre ça, surtout quand on a un cerveau érodé à l'angoisse et au manque de confiance. Sortir du cercle vicieux pour entrer dans le cercle vertueux. « Je ne me sens pas capable de le faire donc je ne le fais pas » pour « je le fais pour me sentir capable de le faire ».

 

A voir mon instrument dans notre appartement, la plupart des gens a toujours supposé que c'était celui de mon mec, parce qu'il est musicien, lui. Comment je peux trouver le courage de créer si la société toute entière m'envoie le message que je n'en suis pas capable, et n'envisage même pas la possibilité ? Certaines l'ont fait pourtant, et elles ont toute mon admiration, juste pour ça, pour s'être dit un jour « je veux être musicienne et je vais le faire ». Je suis de moins en moins jeune et pourtant la confiance n'est toujours pas venue chez moi. C'est une vraie source de souffrance, j'ai l'impression de ne pas pouvoir m'exprimer, d'avoir quelque chose de bloqué quelque part.

 

A chaque fois c'est la même chose. Quand j'ai réussi à combattre les ombres dans ma tête pour enfin m'y mettre, je m'approche de l'instrument et d'un coup je sens mon cerveau s'engourdir et une grande fatigue arriver. Les rares fois où je poursuis quand même, au bout de quelques heures, j'arrive à un résultat qui me satisfait à peu près. Les ombres reviennent et me disent « de toute façon, tu n'y connais rien, pourquoi tu essaies encore ? C'est de la merde. Tu ferais mieux de ne rien faire plutôt que de faire ça. De toute façon tu ne saurais pas reconnaître de la grosse merde et un truc passable. Laisse tomber. » Alors, jusque là, j'ai laissé tomber.

 

Mon mec est musicien, et par ce fait, il invisibilise malgré lui le fait que je puisse l'être aussi, parce qu'il joue dans un groupe, qu'il est légitime. Et que du coup je ne le suis pas en comparaison. Ca m'a tellement énervée tout ça que j'ai décidé d'étudier les mécanismes même de mon incapacité. J'ai d'abord étudié les différences de représentations sociales entre les musiciens et musiciennes qui étaient en couple ensemble. Comprendre pourquoi elles sont moins bien considérées, pourquoi on les voit pas comme des vraies musiciennes. L'année suivante, n'en ayant manifestement pas eu assez, j'ai étudié le parcours des musiciennes, comment elles en étaient arrivée là, comment elles s'étaient posées à l'encontre des stéréotypes de leur genre. Je peux dire maintenant que je connais plutôt bien les mécanismes sociaux et les petits rouages dans ma tête qui font que je n'y arrive pas. Mais jusque ici, ça n'a pas encore suffit.

 

Et alors, pourquoi je ne pourrais pas être musicienne ? J'ai pourtant tout ce qu'il faut pour. Je connais bien la musique, en amatrice d'abord, en public de concert aussi, mais également en ayant consacré deux ans de ma vie à l'étudier, à la disséquer, à tenter de la comprendre. J'ai pris des cours de musique (oui, le chant c'est de la musique, je vais pas le répéter dix mille fois), j'ai un instrument que je connais, et dont je sais me servir. Je l'ai même réparé toute seule, avec quelques conseils avisés tout de même, cette semaine. Mais surtout, et peut-être est-ce le seul argument qui vaille ici, j'en ai envie. J'ai envie de le faire. Je ne vais pas révolutionner la musique, et ce n'est pas mon but, peut-être que ma création musicale ne sera que passable, mais ce n'est pas important. L'important est que je le fasse et que j'arrête de me poser autant de questions.

 

 

 

Mon mec est musicien, et moi je suis musicienne. 

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​

M. 

'il m'arrive parfois de me demander si, au final, certaines femmes n'ont pas intériorisé ces clichés si profondément qu'elles finissent par en jouer le jeu."

"Si l'artiste avait été un homme, l'auriez-vous qualifié de 'joli' ? "

"Pas honte de request un Rihanna dans une soirée de gens habillés en noir, et rien à foutre du type qui fait la gueule sur le canap parce qu'il est pas content."

En 2001, 86% des postes de direction, production et diffusion du secteur musical subventionné par le ministère de la culture étaient tenus par des hommes. 

(Source : Ministère de la Culture et de la Communication)

Elle est très jolie, elle est célibataire ?

 

Voici le contexte : je travaille depuis plus de 6 ans dans le milieu de la musique, chez un producteur de spectacles. Je suis chargée de diffusion au sein d’une équipe de 4 personnes (mes 3 autres collègues sont des hommes), j’organise et gère des tournées d’artistes plus ou moins importants. Et pourtant, je suis souvent considérée comme l’assistante, quand ce n’est pas la stagiaire. Loin de moi l’idée de dénigrer les assistant(e)s ou les stagiaires, pas de malentendu, mais les intitulés de postes ne sont pas là pour faire joli.

 

Je ne compte plus les fois où, après avoir contacté plusieurs fois par email ou téléphone un festival en vain, je sois obligée d’alerter mon boss faute de réponse. Le dit-boss, homme de presque quarante ans, secoue les puces du programmateur muet et hop, on a une réponse dans l’heure. Cette réponse, je l’attendais depuis des jours, si ce n’est plus.

 

Je ne compte plus les fois où, alors qu’on a un rendez-vous avec un programmateur, on me demande des cafés, pensant, encore une fois, que je ne fais pas vraiment partie de l’équipe.

 

Je ne compte plus les fois où, proposant une artiste féminine à des festivals ou acheteurs, on ne me réponde que « elle est très jolie, elle est célibataire ? ». Pas un mot sur le potentiel artistique de l’artiste en question, ce serait trop d’honneur.

 

Je ne compte plus les fois où je dois essuyer les blagues graveleuses de mes collègues, qui ne se rendent pas compte qu’au-delà d’un humour lourdingue à la Jean-Marie Bigard, c’est blessant, à force, même quand je ne suis pas le sujet de la boutade. Hier encore, un de mes collègue parlait d’une artiste, en disant, je cite « la meuf aux gros seins qui fait de la guitare ». On en est là. En 2017.

Alors évidemment je réponds, calmement la plupart du temps, et je passe pour « la féministe de service », la fille pas drôle.

 

Actuellement, nous sommes à la recherche d’un(e) nouvel(le) arrivant(e) au sein du service, l’un d’entre nous quittant la boite prochainement. J’ai suggéré à mon chef de service de prioriser les candidatures de chargéEs de diffusion, afin de respecter la parité. Ce n’était apparemment pas le plan. J’entends bien que nous n’allons pas embaucher une femme si elle est moins qualifiée ou adaptée au poste, mais le geste aurait été apprécié.

 

Tout cela pourrait être pire, je travaille tout de même dans un milieu privilégié. Mais en 2017, encore devoir éduquer les gens – principalement des hommes, blancs, ventripotents et riches – ça me fatigue. 

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​

Elodie

"principalement des hommes, blancs, ventripotents et riches"

Réponse au témoignage ci-dessus 

 

 

 

 

« Chère M., 

Dans une certaine mesure je me retrouve dans ce que tu racontes. Je suis musicienne et musicologue et j’ai toujours du mal à l’affirmer, que ça soit à l’oral comme à l’écrit. Pourtant je m’y oblige. 

 

J’ai fait une licence de musicologie jazz. C’est une musique que j’ai étudié et joué au point de ne plus pouvoir en écouter ! Le jazz est un milieu essentiellement masculin (comme souvent dans la musique), pas foncièrement machiste, mais très paternaliste. Il y avait pas mal de fille dans ma promo comparée aux années précédentes, on était six sur une cinquantaine d’inscrits. À la fin de la licence nous n’étions plus que deux. Je soupçonne même d’avoir été prise aux examens d’entrée pour remplir les quotas de parité et parce qu’il manquait de soufflant (je suis flûtiste). Je n’avais clairement pas le niveau en termes de pratique comparés aux autres. 

 

Dans l’histoire du jazz (et globalement dans l’histoire de la musique), à part les chanteuses, les filles ça n’existent pas, ça ne composent pas, ça ne dirigent pas. Parce que oui quand tu fais du jazz et que t’es une fille, forcément tu chantes. Tu chantes le thème, t’as un petit tour d’impro et puis après tu laisses les bonhommes faire ! Mais en aucun cas tu es batteuse, bassiste, pianiste ou guitariste. Et puis, faut voir la quantité de blagues sexistes qui existent sur les chanteuses. Certains profs s’amusaient à nous faire craquer, soit disant pour nous préparer à la réalité du terrain. Y en a une qui finissait toujours ses partiels de pratique en pleurs. Quand t’es une fille, faut être encore meilleure que les autres gars, encore plus solide, pour pouvoir percer, et puis si t’es jolie c’est mieux mais faut pas l’être de trop. C’est fou, la part de féminité que tu dois abandonner pour être prise au sérieux dans les milieux masculins ! Y a celles qui en jouent de ces codes, qui essayent de les tourner à leurs avantages. Les chanteuses elles, elles s’en foutent. La plupart du temps elles sont aussi odieuses que les clichés qui les représentent où alors elles changent de milieu musical. Les trois filles qui sont parties à la fin de la première année étaient des chanteuses (maintenant, l’une fait de la chanson française et de l’impro vocale, l’autre des chants trad., de l’accordéon et de la musique de bal et la dernière a disparu de la circulation).

 

Durant mes études, y a un ensemble de jazz qui s’est monté, uniquement de fille. Que des filles, c’est vendeur, ça a de la gueule. Je n’ai pas voulu y prendre part. Je ne supportais pas le principe. Pour moi, peu importe le genre, c’est la musique qui compte. Et puis, dans le fond, je ne suis pas une « fille ». Je ne voulais pas être associée à cette étiquette. C’est pour ça que ton témoignage me fait réfléchir. Je commence à l’admettre, mais j’ai encore du mal. J’ai du mal à accepter que je puisse être victime d’a priori et de considérations arbitraires du fait de mon sexe et de mon apparence, parce que je ne me suis jamais réellement considérée comme femme. À mes yeux, l’identité ‘femme’ n’est qu’une part infime de ce que je suis. Je pensais échapper à ce sexisme ordinaire et invisible. Et pourtant, je crois que je dois à cette période d’apprentissage beaucoup de mes blocages actuels. 

 

J’ai toujours eu la sensation de faire office de décoration de ne jamais avoir eu ma place dans les groupes auxquels j’ai participé. Je suis flûtiste. Paye le mépris qu’on porte à cet instrument. C’est joli, c’est fluet mais ça ne s’entend pas, ce n’est pas assez puissant, pas assez démonstratif. Enfin, tout dépend de la manière dont on en joue. Moi, je ne suis pas soliste. Ça ne me dérange pas d’être en retrait, d’assurer les contrechants et de faire partie de l’harmonie, du son global. Je ne sais pas m’imposer. Et je n’ai pas envie de me battre. Enfin, si, mais pas de cette manière-là. Je n’ai pas envie d’exiger. Je n’ai pas envie de gagner ma place. Ce n’est pas ma conception de la musique. 

 

J’aime les espaces libres, ceux dans lesquels je sais que je peux prendre le temps de me déployer, en discrétion et en légèreté. J’ai besoin d’espace et de temps pour raconter, pour m’affermir, pour trouver ma force dans les sons, et dire, dire encore par la musique ce que je ne peux ni prononcer ni écrire. C’est quelque chose que l’on m’a rarement offert. 

Pendant une grande partie de cette période, j’ai vécu avec un musicien, un contrebassiste qui faisait partie de la même promo, avec qui j’ai joué de la musique au début, puis avec le temps, là aussi je me suis effacée. Je me suis effacée parce que lui jouait et moi non, parce que lui on le prenait au sérieux et moi non. Tout était tellement facile pour lui (même s’il ne s’en rendait pas compte et qu’il n’a pas su saisir certaines occasions). Il n’a pas su m’encourager, il n’a pas voulu voir les difficultés. Il n’a pas voulu me défendre, ni prendre parti lorsque j’ai essayé d’expliquer aux membres du groupe dans lequel je jouais (avec lui) que je n’étais pas à ma place auprès d’eux. Je n’étais pas à ma place parce qu’il ne me laissait pas prendre cette place. Je n’étais qu’une pièce rapportée, la meuf du contrebassiste. Et pourtant, c’était des amis ! Je suis partie. Le groupe s’est cassé la gueule. À défaut d’être une excellente soliste, j’étais la seule capable d’organiser et de canaliser les répétitions. 

 

Je sais que j’ai gardé un soupçon de rage et une certaine amertume de ces années. De l’amertume et un gouffre à la place de la confiance et de l’estime de soi. Une fois ma licence terminée, j’ai fini par abandonner la musique, dégoutée et épuisée. Je me suis consacrée à la recherche. En réalité, je me suis planquée pendant près de trois ans derrière un sujet et je me suis progressivement coupée du monde et des autres. Je me suis enfoncée dans mon monde, dans mes mots. 

 

J’ai repris contact avec la musique quand j’ai découvert le metal il y a un peu plus d’un an, et surtout le black metal. Il paraît que ça aide la dépression pour rencontrer certaine musique. Depuis j’essaye peu à peu de m’y remettre. C’est dur. J’essaye de me réapproprier la musique, ma musique, mes notes, mes sons, mes couleurs. J’ai commencé à prendre des cours de chant. Rien que le fait d’ouvrir la bouche pour produire un son est une épreuve pour moi. J’ai passé tellement de temps dans mon propre silence que je me sens incapable de crever la ouate qui m’entoure. Cela me demande énormément de courage et d’énergie. Peu de personne le comprenne, encore moins les musiciens et les musiciennes, j’ai l’impression que certains sujets restent tabou. Depuis quelques mois, je joue pour moi, quand j’en ressens le besoin, sans partition, sans considération technique, de l’improvisation brute fondée essentiellement sur ce que je ressens. Mon instrument a repris son rôle de catalyseur, la musique ça fonction de catharsis. Pourtant je n’arrive toujours pas à me considérer comme musicienne. J’ai toujours ce sentiment d’illégitimité qui rode et me frappe d’incapacité. Je comprends quand tu parles de cette fatigue qui te saisit lorsque tu te mets au travail. Je souhaiterais composer, je m’y essaye, mais je suis toujours prise au piège dans mes propres blocages. C’est long, laborieux et toujours insatisfaisant. 

 

J’écris aussi, des mots, de manière intensive depuis près d’un an maintenant. Je me décortique et me recompose. Ça aide, ça permet de réalimenter l’estime de soi, mais il y a du chemin encore, beaucoup de chemin à parcourir parce que je doute en permanence de mes capacités, de l’intérêt de ce que je dis et de ce que je crée. 

Alors merci pour ton témoignage qui m’a permis de réfléchir et de poser mes mots sur cette sensation diffuse. Au final, ce sont toujours les autres, qui par leurs paroles, leurs regards nous définissent et nous catégorisent. Je déteste quand quelqu’un, homme ou femme, me rappelle ma condition biologique. Je serais curieuse de savoir quels sont les écrits qui ont nourrit tes réflexions ?

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Youk

"Parce que oui quand tu fais du jazz et que t’es une fille, forcément tu chantes."
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IAMNOTAMUSE(D)

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