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SPECTRES

"IT'S ALL ABOUT GETTING A REACTION REALLY"

Du bruit, des émotions, de l'intelligence et beaucoup de provocation, voilà comment résumer Spectres en quelques mots. Basé à Bristol, une ville anglaise ayant une très forte identité musicale et culturelle, Spectres s'y démarque par ses prises de positions autant musicales que « politiques », comme une sorte de poil à gratter dans une Angleterre utra-libérale et moralisatrice. J'ai pu rencontrer Joe Hatt, chanteur et guitariste du groupe dans l'intimité de sa maison et avec son chat Toulouse, un jour de pluie évidemment.

Fin 2015 est sorti le dernier James Bond, Spectre. Un mois avant, Spectres sortaient un thème non officiel pour le film. « Spectre » de Spectres, donc.

 

Joe Hatt : Quand on a entendu dire que le prochain James Bond s'appellerait Spectre on a fait une blague sur Twitter en disant qu'on nous avait demandé d'en composer le thème, et quelques personnes l'ont vraiment cru. La marque JVC a même tweeté quelque chose comme « félicitations, c'est bien pour un groupe underground d'avoir une telle opportunité », alors on a pensé que ce serait drôle de le faire vraiment. Et ensuite on a vraiment pris ça au sérieux et on est allés beaucoup trop loin. Ce n'est pas qu'on l'a pris trop au sérieux, mais on y a mis beaucoup trop d'énergie. C'était drôle, et à y repenser, c'était sûrement la chose la plus drôle qu'on ait faite, et ça a fait connaître notre musique à pas mal de gens, bizarrement.

 

« Spectre », de Spectres, est un morceau bien plus pop, accessible et bien moins noise que ce à quoi ils nous ont habitué. Quant au clip, il emprunte également plus à l'univers de James Bond qu'à celui de Spectres.

 

JH : Nous avons fait une chanson pop, parce que ç'aurait été trop évident de faire un morceau agressif et noise alors que c'était plus intéressant et drôle d'essayer vraiment de faire un thème de James Bond. Je pense que les gens s'attendaient à ce qu'on en fasse une blague. C'était un défi, évidemment, parce qu'on n'avait jamais composé un morceau comme ça avant, alors quitte à le faire, autant le faire proprement.

 

Plusieurs journaux, tels que The Guardian ou le NME ont relayé le faux thème de Spectres, les faisant alors exister, pour un instant, dans un monde mainstream auquel ils n'ont pas accès d'habitude. Ca peut paraître étrange pour un groupe underground de décider de faire un thème pour l'un des plus gros films de l'année, si ce n'est de la décennie.

 

JH : Je pense qu'on ne fait ce genre de chose que quand on ressent qu'il y a un certain besoin de le faire. Et dans le cas James Bond, maintenant dès qu'il y a un nouveau film en préparation, tout le monde se demande « qui va écrire le thème ? », et c'est toujours les mêmes noms qui reviennent, les pop stars du moment. C'était prévisible que ce serait quelqu'un comme Sam Smith. Ce qu'on a fait c'est une réaction à ce monde qui se tape dans le dos sans arrêt. Pour un groupe comme nous, connu (ou pas d'ailleurs) pour faire une musique qui est à l'opposé de ce que devrait être un thème de James Bond, ou même un morceau pop, ça rendait ça encore plus drôle. Donc exister dans ce monde a été comme une réaction à celui-ci.

Pour le Record Store Day (Disquaire Day en français) de 2015, Spectres ont décidé de ne pas y participer réellement (souvent les groupes sortent un disque spécialement pour ce jour-là) , et de vendre un exemplaire par jour pendant un an de leur split avec Lorelle Meets the Obsolete, jusqu'au prochain Record Store Day. Il est à noter que le RSD est un événement bien plus important au Royaume-Uni qu'en France, la queue devant les disquaires commence même parfois la veille dès 22h. C'est un peu le Noël des disquaires : ça se prépare des mois à l'avance. Les ventes de ce jour-là peuvent conditionner l'année entière d'un disquaire.

 

JH : Avec Howling Owl (le label que tient Joe Hatt avec son camarade de groupe Adrian Dutt ndlr) et Sonic Cathedral (le label sur lequel sort Spectres ndlr) on parlait de comment le record store day avait rendu impossible pour les petits labels de sortir des trucs à ce moment-là, en augmentant considérablement les délais d'attente des presses de vinyles pour des rééditions ringardes. On savait que ça se passerait comme ça, et on avait décidé de ne rien faire, mais on avait enregistré des reprises de Lorelle Meets The Obsolete, et ils avaient enregistré des reprises de nos morceaux, et on ne savait pas quoi en faire. On se disait que c'était le genre de chose qu'on aurait voulu sortir pour le RSD justement. Nat (de Sonic Cathedral ndlr) a dit qu'on devrait peut-être le sortir la veille, ou alors en sortir un exemplaire le jour même et le reste le jour suivant. On a décidé d'en sortir un exemplaire par jour, même si au début on disait ça comme une blague. Ca fait partie des choses qui ont commencé comme une blague et qu'on a finit par prendre bien trop au sérieux. Et donc, de ce RSD au suivant, chaque jour de l'année, on en a vendu ou offert un exemplaire par jour. Donc chaque jour on devait en mettre un en ligne à une certaine heure, et trouver à chaque fois une nouvelle raison de le faire. On regardait la date, et si c'était l'anniversaire de quelqu'un qu'on connaissait par exemple, on lui dédicaçait et les gens l'achetaient en ligne, ou si on était en concert quelque part, on le vendait directement là-bas, ou si on était en voyage on le cachait quelque part. Ca n'a pas été facile de continuer à le faire tous les jours, et à la fin tout le monde en a eu marre et tout le message s'est perdu en route. Et puis le RSD suivant est arrivé, et on n'avait rien changé à la situation. Je pense quand même qu'il y a pas mal de gens qui pensaient la même chose que nous, et on a aussi fait réaliser à certaines personnes ce qu'est le RSD aujourd'hui, que c'est devenu ce truc corrompu par les majors et les grosses compagnies, et ça ne devrait pas être comme ça. Mais ce qu'on a fait aura au moins commencé une conversation, et je pense que de toute façon dans les 2 ou 3 années à venir ça va imploser, même si certains disquaires vendent pour des centaines et centaines de livres sterlings ce jour là. Au final les petits disquaires, ce pour quoi existe le RSD à la base, n'auront plus assez d'argent pour acheter le stock de vinyles nécessaire et vont juste arrêter d'y participer et les gens vont finir par se rendre compte de ce qui se passe.

 

Le problème avec l'industrie musicale c'est qu'on n'arrive pas à avoir de booker (rires). Non, simplement, c'est un milieu rempli de népotisme. C'est encore pire depuis 2 ou 3 ans, on est arrivé à un point où on pourrait se débrouiller correctement mais on a énervé quelques personnes, à notre manière. On a réalisé qu'on n'a pas le droit de s'exprimer contre ces choses-là, parce qu'après les gens ne veulent plus travailler avec toi, ils ne veulent pas être associés à ça. C'est juste notre point de vue à nous, mais le problème c'est que l'industrie musicale est en train de paniquer et ce qui fonctionnait pour les labels avant ne fonctionne plus maintenant. Les gros labels font des paris, les groupes sont virés s'ils ne marchent pas dans les 6 mois. C'est pas facile d'avoir une longévité. C'est un club restreint, et de l'extérieur on dirait que tout va bien, mais ce n'est pas le cas.

Malgré leurs prises de positions parfois radicales, Spectres restent dans le cycle traditionnel de la plupart des groupes : ils enregistrent leur musique, la pressent sur vinyles, et réussissent même à vendre leurs disques. On pourrait s'attendre à les voir sortir de ce système là et s'inscrire davantage dans une esthétique DIY, en dehors des contraintes de vente et de rentabilité, et qui redéfinit les normes et codes du genre. Cependant, l'ultra-libéralisme dans lequel évolue le Royaume-Uni, et sa position de leader sur le marché de la musique, semblent être tellement ancrés que les scènes DIY (au sens où on l'entend en France) n'y sont pas aussi développées.

JH : C'est vraiment cool de réussir à vendre nos disques, et qu'on puisse faire un album tous les 1 ou 2 ans, qu'ils se vendent et que les gens viennent nous voir jouer, et le fait de pouvoir être un groupe et ne pas utiliser notre propre argent parce que les concerts et les ventes couvrent nos frais. Même si on aura jamais tout ce qu'on mérite (rires).

 

La consommation de la musique, la façon dont les gens l'écoutent, fait qu'ils vont moins à de petits concerts. En tant que groupe, ce que tu fais ne va rien y changer. Tu ne peux pas vraiment faire autre chose. On est destinés à un vide perpétuel. Je pense que tu quand tu es musicien, vivre de ta musique ne devrait jamais être ta raison de le faire. Ceux qui ont ça en tête peuvent très bien réussir, mais ce n'est pas vraiment être musicien, c'est juste travailler. D'autant que depuis les 10 dernières années, la probabilité de vivre de sa musique a largement diminué. Si t'as ça en tête, tu vas être vite déçu et ne plus vouloir faire de musique. Nous, on a des amis qui pensent que parce qu'on sort des disques et joue en tournée c'est notre boulot maintenant, alors que pas du tout. Le fait qu'on arrive à couvrir nos frais est arrivé après environ 4 ans d'existence du groupe. Quand c'est arrivé on s'est dit « maintenant, on n'a plus besoin de dépenser notre propre argent », mais on couvre tout juste nos frais, parce que c'est vraiment cher de faire de la musique. On n'a jamais pensé qu'on se ferait de l'argent, mais par contre on a l'occasion de voyager et de voir des endroits que nos salaires ne nous auraient jamais permis.

"WE'RE ALL DESTINED TO A PERPETUAL VOID"

"YOUR POSE WAS NOTHING SPECIAL 
NOTHING MORE THAN I COULDN'T HANDLE

MY NECK WILL SEE YOU NOW

MY NECK WILL SEE YOU NOW"

Spectres est composé de 4 jeunes hommes d'une trentaine d'années, comme la grande majorité des groupes. C'est à se demander si tous les musiciens qui ont décidé de monter des groupes connaissaient des musiciennes. En Angleterre, il semble y avoir beaucoup plus de femmes dans le public de concerts et en club qu'en France, et même si la situation semble meilleure pour les musiciennes, elles restent néanmoins largement minoritaires sur scène.

 

JH : Je connais des musiciennes. Debbie Harry, Nina Kraviz ? (rires). Sur le thème de James Bond on a travaillé avec Ela Orleans. On a aussi travaillé avec Klein, et on joue avec plein de musiciennes. Le mois dernier on a organisé un concert avec Pharmakon et Autobitch par exemple. Les gens font de plus en plus attention à avoir des femmes sur leurs line up et avec Howling Howl et Spectres, à chaque fois qu'on fait un concert, on fait tout ce qu'on peut pour que ce soit équilibré. Et c'est pas genre « oh, il faut qu'on ait des femmes », mais c'est important parce qu'il n'y a pas énormément de gens qui vont en programmer, parce que c'est plus sûr de programmer des groupes de mecs. Quand tu es dans une position où tu peux organiser des concerts et ne pas perdre d'argent, c'est là que tu dois donner une chance à ces groupes d'êtres visibles, et je ne dis pas ça d'une façon paternaliste. Non pas que Pharmakon ait besoin de nous hein, mais juste en général, c'est important.

A bristol, il n'est pas rare de s'entendre dire « guitars are dead ». C'est une ville avec une forte inclinaison pour les musiques électroniques et la culture club, qui a vu et fait naître le trip hop notamment. La culture club est de toute façon très prégnante au Royaume-Uni, et ça semble être d'autant plus le cas à Bristol.

 

JH : C'est génial de vivre dans une ville si impliquée dans les musiques électroniques . Ca veut dire que je peux aller voir la musique que j'aime, m'y investir, et en même temps apprécier d'être dans un groupe. J'aimerais beaucoup être capable de faire de la musique électronique mais tout ce que je sais faire c'est fracasser une guitare. C'est le meilleur des deux mondes, vraiment. Et Bristol a quand même une bonne scène rock, on a d'ailleurs commencé le label pour ça, et ça fonctionne jusque là. Mais le fait qu'il y ait d'autres musiques, et d'aussi bonne qualité tout autour a beaucoup influencé ce qu'on fait, les sons qu'on veut créer. Si on vivait encore dans une petite ville, comme celle de laquelle on vient où il y avait en tout 6 groupes de merde, dont nous faisions bien sûr partie, ce ne serait pas très inspirant. Si tu peux émerger d'une musique qui n'est pas la tienne, c'est forcément positif.

 

Depuis leur apparition les musiques électroniques se sont imposées à nous comme les seules musiques de fête. Les contextes dans lesquels elles sont diffusées, dans les raves et les clubs, font qu'elles ont petit à petit remplacé les autres musiques pour faire la fête, et les ont placé dans une position largement hégémonique à cet égard. Dans la grande majorité des festivals et des soirées de concerts les groupes jouent tôt et en premier, et les musiques électroniques sont programmées plus tard et clôturent. Il n'y a rien de naturel là-dedans, et cela contribue à uniformiser les expériences. On n'est pas dans le même état d'esprit à 22h qu'à 4h du matin, et voir un live à une heure inhabituelle peut éclairer la musique en question d'un tout nouveau jour. La musique de Spectres peut-elle est considérée comme une musique pour faire la fête ?

 

JH : Oui, on fait de la musique pour faire la fête. Ca dépend du genre de fête que les gens recherchent. Si tu veux aller à une suicide party, alors on sera ravis d'en faire la bande originale (rires). Faire la fête, dans un sens général veut dire de chercher à s'échapper, donc si des gens cherchent à s'échapper d'une certaine manière à nos concerts alors c'est comme ça qu'ils font la fête.

 

Ce truc figé selon lequel « c'est l'heure des groupes » parce que tous les gens qui écoutent cette musique doivent être au lit à 11h, ça n'a aucun sens. C'est pour ça qu'on a beaucoup de chance, avec le label et le groupe quand on organise des soirées, de pouvoir mélanger les ordres de passage autant qu'on peut. Les gens veulent se perdre de façons différentes. Tu peux mettre un DJ à 2h du matin parce que les gens ont besoin d'être défoncés, mais tu peux aussi le mettre à 22h et les gens l'apprécieront et auront une réaction aussi. On a joué nos meilleurs concerts à 3 ou 4h du matin. Le public est détendu et ne se tient pas juste debout là en tenant sa pinte. Encore une fois, à 3h du mat' ils seront défoncés mais ils auront déjà passé la plupart de la soirée, détendus et prêt à recevoir la musique.

"IF YOU WANNA GO TO A SUICIDE PARTY THEN WE'LL HAPPILY BE SOUNDTRACKING THAT"

BREXIT

JH : C'est navrant parce qu'on a la chance de jouer pas mal en Europe, et on a un peu honte. On est allés jouer en France environ 2 semaines après, et ce que le Royaume-Uni représente, même si on n'a rien à voir avec ça, on doit l'assumer. Les gens vont venir nous voir et nous dire « mais qu'est-ce que vous avez foutu ? ». On représente notre pays quand on va jouer en Europe, en quelque sorte, et c'est embarrassant. On est inquiets de comment le Brexit va s'appliquer aussi, pour des raisons de pure logistique, de visas, de coûts, etc. Pour l'instant c'est encore très facile d'aller en Europe en van, sans avoir à s'inquiéter de quoi que ce soit. Le Brexit nous dégoûte d'être ici.

Le clip accompagnant le morceau « Dissolve », extrait de l'album Condition (sorti en Mars 2017), ne dépeint que des hommes blancs. L'accent est clairement mis là-dessus, puisqu'on les voit tous nus, sauf Spectres, probablement pudiques, qui ont gardé leurs pantalons.

 

JH : C'était une idée qu'il n'a pas été facile de faire imaginer à Will Hooper (coréalisateur du clip avec Joe Hatt). Je suis allé à Londres 3 ou 4 fois pour en discuter et il a apporté ses propres idées. Le jour du tournage a été difficile. On avait un concert la veille et on s'est couchés à 6h pour commencer le tournage à 8h. On ne savait pas encore à quoi ça allait ressembler, et c'est Will qui a fait le montage. C'est vraiment agréable d'avoir des amis avec lesquels travailler pour donner vie à ses idées.

C'était mon idée de n'avoir que des hommes blancs. Principalement parce que le morceau est un truc un peu ironique, sur des amis ou des connaissances qui ont tous ces problèmes et traumatismes alors qu'au final, on est tous plutôt chanceux et on s'en sort bien. C'est le morceau du mec de la classe moyenne qui pense que tout va mal dans sa vie, qui dit « regardez-moi », alors qu'en fait ça va. C'était au moment de Black Lives Matter et ça a intensifié ce sentiment chez moi. Ces gens qui se plaignent parce qu'ils ne peuvent pas partir en vacances alors que leurs parents leur donnent de l'argent. L'idée c'était donc de jouer avec ces thèmes là, et d'avoir des hommes blancs dans la vidéo pour intensifier ça. Par contre, tu es la première personne à me poser cette question. J'ai eu cette idée et j'ai pas mal écrit dessus en espérant que les gens demandent « mais pourquoi ils font ça », mais il se trouve que tout le monde s'en fout en fait.

Les sons de l'album sont particulièrement violents, bruitistes et chaotiques. A l'inverse les voix sont hantées, mélodiques et douces, sans pour autant tomber dans l'éthéré à l'extrême comme le shoegaze, ce qui peut paraître contradictoire, déroutant. En fait, elles flottent et guident l'auditeur au-dessus du chaos instrumental, comme si elle racontaient l'histoire, mais toujours à distance. Elles ne s'énervent jamais. Elles évoquent la résilience.

 

JH : Quand on a commencé, on devait vraiment crier et être violents et agressifs. Mais quand on a commencé à travailler avec Dom, notre ingé son, il a dit « t'as pas besoin d'aboyer, et t'es pas en train de jouer en live ». Ce disque est également plus lent, et la musique informe les textes parce qu'écrits après, c'est comme une couche supérieure. Ca prend vraiment beaucoup de temps d'écrire une chanson.

 

Les textes comme la musique sont profondément pessimistes sur Condition, et bien souvent, la musique informe sur l'époque qui l'a produite. Toute création artistique est ancrée dans, et n'existe pas en dehors, de son contexte social. A ce titre, il est légitime de se poser la question de la démarche de création d'une musique aussi violente, et également de celle du public, qui va sciemment et souvent avec plaisir se faire détruire les oreilles. Et l'âme.

 

JH : L'album n'est évidemment pas un commentaire sur la politique, mais « Dissolve » est un exemple de ce que c'est d'avoir cet âge-là aujourd'hui, et est bien sûr affectée par la politique. On est tous perdus, en terme de carrière, de directions, quand on est vers la fin de la vingtaine, le début de la trentaine, qu'on n'a pas de carrière, qu'on boit tous les week-ends, on a le sentiment d'être perdu. Mais sur l'album il y a aussi des histoires qui viennent d'expériences que j'ai vues ou entendues, parce qu'elles me semblaient avoir leur place sur le disque.

"IT'S ALL ABOUT EMOTIONS, INNIT?"

Dans les textes de Condition, les mots « I » (je) et «we » (nous) sont beaucoup utilisés. C'est donc un album peu abstrait, et qui résulte d'une réelle expression, au sens premier du terme. L'expression musicale peut être décrite comme un moyen d'exprimer des émotions, des pensées dont la force ou la violence intrinsèques empêche qu'elles soient livrées et reçues en dehors d'un contexte artistique.

 

JH : C'est un moyen cathartique, thérapeutique de sortir ces choses-là. Pour s'exprimer, et aussi pour essayer de mettre ses propres émotions et les faire ressentir aux autres. C'est un peu la base de tout. Et comme ça après on peut partir en tournée, coucher avec plein de filles et de garçons et prendre des drogues. Mais on peut faire tout ça assez facilement sans faire de musique. De toute façon, tout est question d'émotions, non ?

 

Même si le « I » est très employé, à la fin de l'album on assiste comme à une dissolution de l'identité avec les derniers mots de l'album qui sont « When it all / Starts to fall / Am I « I » / Or juste a / Condition » (Et quand tout se met à tomber, suis-je moi-même, ou seulement un état). Cette phrase, et le fait qu'elle soit la dernière, propulse le propos de l'histoire particulière, très ancrée dans la réalité, vers une réflexion plus universelle. Elle invalide tout ce qu'on pouvait croire avoir compris, piétine tout ce qu'on croyait savoir.

 

JH : J'ai fait ça exprès. Le premier et le deuxième disque finissent tous les deux sur le mot de l'album, comme pour tirer un trait. L'album s'appelle Condition, ce n'est pas sur la condition humaine, mais sur la façon dont on se conditionne nous-mêmes pour s'insérer et survivre, et après « Am I just a condition », c'est est ce que tu es ta propre personnalité ou juste cette chose que tu t'es conditionné toi-même à être ? Est-ce que tu es réellement une personne qui boit 4 pintes juste pour tenir, est-ce que tu es toi-même ou es-tu ce que tu as dû faire pour te définir ?

Qu'il s'agisse de « Spectre », du Record Store Day, ou de la musique violente et saturée qu'ils composent, Spectres ont perpétuellement un pied dans la provocation, cherchant constamment à immerger le public dans un profond sentiment d'inconfort, de malaise, comme pour le pousser dans ses derniers retranchements.

 

JH : Tout ça c'est juste pour cherche une réaction. La plupart de ce que je fais avec le groupe et en dehors, c'est pour susciter une réaction, parce que je pense que les gens ne réagissent pas assez. Tout est trop placide, et même maintenant, avec les élections qui arrivent (les general elections auront lieu en Juin au Royaume-Uni, ndlr), il devrait y avoir des émeutes. La seule réaction qu'il y ait ce sont des gens qui écrivent sur Facebook. Ce n'est pas que j'y fasse grand chose moi-même, je ne suis pas en train de dire tout le monde devrait faire comme moi. Mais il n'y a pas assez de gens qui questionnent tout ça, surtout en tant que groupes, et c'est tellement chiant. Comme on est sur un petit label, et qu'on n'a pas beaucoup de soutiens, quand on fait ce genre de choses les gens pensent qu'on cherche juste à attirer l'attention sur nous. Si on était sur un plus gros label, ou si beaucoup plus de gens écoutaient notre musique, ça aurait plus d'effet. Tout ce qu'on peut faire, c'est ça. Continuer à faire ce qu'on fait, à créer ce qu'on crée, à commenter l'industrie musicale et d'autres trucs, et il y a quand même quelques personnes qui nous écoutent. C'est bien d'écouter des gens s'expriment contre toutes ces conneries, mais c'est simplement dommage que personne ne les entende.

 

Ce qui fait que ça vaut quand même le coup de le faire, comme notre dernière tournée britannique c'est qu'à chaque concert il y avait des gens qui nous connaissaient vraiment. Sur cet album on a voulu ne plus seulement être ce groupe qui fait des conneries et attire l'attention en faisant des blagues. Mais les gens ont été moins intéressés par cet album, donc la prochaine fois, on va faire un truc épouvantable (rires).

 

Le travail de Spectres, musical comme extra-musical, s'inscrit alors un peu dans la théorie de la distanciation telle que définie et conceptualisée par l'auteur de théâtre allemand Bertolt Brecht. Il s'agit, à le dire rapidement, de briser le divertissement par différents procédés afin de garder un public actif, qui réfléchit à ce qu'il voit et entend. Spectres sont réputés, et à raison, pour jouer à des volumes sonores extrêmement élevés, leur musique est agressive, leurs textes crus. On ne peut pas vraiment considérer qu'on soit dans le divertissement, et c'est là, je pense, ce que Joe Hatt avec Spectres, cherche à faire, sans cesse, et comme il l'a dit et répété dans cette interview.

Susciter. Une. Putain. De. Réaction.

 

JH : Oui c'est ça en fait. En jouant à de tels volumes sonores dans des toutes petites salles. On ne veut pas de gens debout à regarder leurs téléphones. Là ils ne pourront pas, ils seront obligés de sortir. Les gens qui restent à nos concerts écoutent vraiment. Des fois il faut les forcer un peu. On ne fait pas une musique facile à digérer, ou qui ne fera que passer au travers eux.

"NEXT TIME WE'RE GOING TO DO SOMETHING HORRIFIC"

Condition de Spectres, sorti sur Sonic Cathedral le 10 Mars 2017, est à l'écoute et disponible ici

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